7

ON avança dans la saison et le froid s’intensifia. Magda qui était née dans les montagnes, se souciait peu de la température. Du moins quand elle pouvait porter des vêtements adéquats. Mais la plupart des Terriens se terraient à l’intérieur, à l’instar de ces animaux qui hibernent dans leur trou pendant l’hiver, et ne s’aventuraient au-dehors que lorsqu’il le fallait. Quant aux équipages des astronefs qui faisaient escale à Ténébreuse, ils écourtaient au maximum la durée de leur séjour, se risquaient rarement au-dehors, même à l’intérieur de l’astroport, et ne pénétraient jamais dans la Vieille Ville.

Magda elle-même, peu soucieuse de la désapprobation officielle, portait de plus en plus souvent ses vêtements de Ténébreuse autour du Quartier Général, supportant la gêne des longues jupes et des lourds jupons pour jouir de leur chaleur. Un après-midi, alors qu’elle rentrait d’une journée passée dans la Vieille Ville, il neigeait si fort que l’idée de se changer pour endosser ses légers vêtements synthétiques de Terrienne lui parut insensée. Elle se rendit donc directement au Service du Personnel, dans le bureau où l’on enregistrait ses observations. La jolie assistante de Montray, emmitouflée dans de gros chandails, la regarda avec envie.

— Je ne vous blâme pas de vous promener en costume local. Je serais presque tentée de passer dans votre section pour pouvoir m’habiller en fonction du climat ! J’ignore comment vous faites pour circuler dans ces trucs… mais ça a l’air vraiment chaud !

Magda lui adressa un sourire amer.

— Même question que d’habitude.

— Et même réponse, j’en ai peur, répondit Bethany en reprenant son sérieux. Aucune nouvelle de Peter. Ce matin, le patron l’a supprimé de la liste du service actif. Il est officiellement reporté P.D.E.M., Provisoirement Disparu En Mission. Son salaire est suspendu, sous réserve d’un contact officiel, et ainsi de suite.

Magda tressaillit. Le mécanisme pour déclarer Peter Disparu, présumé mort, était en mouvement.

— Rien n’est encore définitif, fit Bethany en s’efforçant de la réconforter. Il a peut-être trouvé un lieu de séjour accueillant et s’y est peut-être installé pour tout l’hiver. Il ne pourrait pas voyager par ce temps, même s’il allait très bien.

Magda sourit du bout des lèvres.

— Ce n’est pas encore l’hiver, loin de là. Ce ne sera que dans quatre mois que le temps ne permettra plus de voyager et que toute activité commerciale sera interrompue en attendant le dégel du printemps. Les cols ne sont même pas fermés au cœur des Hellers.

— Vous plaisantez ! (Bethany plongea un regard dans la tourmente au-dehors et frissonna.) Mais vous devez le savoir, vous en venez. L’été, je suppose que vous avez la partie belle – rien d’autre à faire que de vous mêler à la foule dans la cité pour prêter l’oreille aux bavardages. Mais par un temps comme celui-ci… Je suis surprise qu’on n’ait pas baptisé cette planète Hiver.

— Impossible. Il y en a déjà une qui porte ce nom. Lisez donc les Dossiers de temps en temps. À propos de dossiers, je ferais bien de mettre le mien à jour.

— C’est vraiment tout ce que vous faites… écouter les papotages ?

— Ça et beaucoup d’autres choses. Je prends des notes sur les modes adoptées par les femmes, des notes linguistiques sur les nouvelles expressions et sur les changements intervenus dans l’argot local… Les langages changent tout le temps, vous le savez.

— Vraiment ?

— Est-ce que vous vous servez à l’heure actuelle des mêmes expressions argotiques que lorsque vous aviez sept ans ? Peu importe qu’un agent emploie des expressions désuètes. Les gens copient généralement des façons de parler de leurs parents et chacun a tendance à se servir d’expressions qui étaient courantes au temps de son adolescence, à l’époque où s’instauraient les relations d’égalité. La seule chose qui soit interdite à un agent secret en mission parmi les habitants de Ténébreuse t’est de parler comme s’il avait appris la langue dans un livre. C’est pourquoi je travaille sans arrêt pour nous permettre à tous de rester au courant. Montray s’en sort parce qu’il rencontre les gens en qualité de Terrien et qu’il fait preuve de courtoisie en parlant un tant soit peu la langue de ses visiteurs et en composant ainsi avec eux. S’il la parlait trop bien, cela constituerait une forme subtile d’affirmation de soi qui susciterait toutes sortes de blocages psychologiques chez les habitants de Ténébreuse qu’il rencontre. En effet, ceux-ci sont censés être capables de mieux parler que lui. Par contre, les agents qui travaillent au sein du peuple de cette planète, ne peuvent commettre aucune erreur, même en argot. Et tout le monde doit se tenir au courant des usages habituels en matière de langage.

Bethany eut l’air déconcertée et Magda lui fournit quelques éclaircissements.

— Bon, regardez. Par exemple : il y a un mot qui signifie littéralement « artiste de variétés » ou « chanteuse ». Il figure dans les textes classiques. Mais si vous utilisez ce terme pour désigner une chanteuse de ballades ou une soprano, soliste dans un des orchestres de Thendara, son père ou son frère vous provoqueront peut-être en duel. De même, une femme qui emploierait l’expression « Appeler un homme à l’aide », serait tout bonnement considérée comme étant très vulgaire et très mal élevé.

— Une artiste de variétés ? (Bethany répéta ces quelques mots avec stupeur.) Pourquoi ? Cela semble plutôt inoffensif.

— Parce que depuis des décennies, ces mots bien particuliers constituent un euphémisme poli – le genre de locution qu’on peut employer en présence d’une dame – pour désigner une « prostituée ». Aucune femme respectable de Ténébreuse ne souillerait sa bouche en prononçant le mot grezalis. C’est un mot du pays pour désigner une « putain ». Et seul, un goujat l’utiliserait devant elle. La respectable soprano, chanteuse de concert, est une « artiste lyrique » ; ne l’oubliez pas si vous vous rendez à un concert à Thendara.

Bethany frissonna.

— Je ne me doutais pas du tout que le travail d’une interprète était aussi compliqué.

— C’est vrai. Il faut se donner énormément de mal pour éviter d’offenser les gens. Une de mes tâches essentielles consiste à vérifier de bout en bout les discours officiels pour veiller à ce que nos traducteurs et nos rédacteurs de discours évitent des termes risquant d’avoir des significations choquantes. Par exemple : vous savez comme nos discours officiels – et pas seulement sur Ténébreuse – regorgent d’expressions d’amitié et de fraternité. Eh bien, l’expression la plus courante pour dire « ami et frère » dans la langue casta (c’est la langue officielle de Thendara) est marquée à l’encre rouge comme un terme à proscrire absolument de tous les discours officiels ici.

— Et pourquoi, grands dieux ?

— Parce que si vous n’adoptez pas exactement l’intonation voulue, l’emploi de cette locution peut vous attirer une avalanche d’ennuis incroyables. Sur le mode impersonnel, elle exprime les sentiments les plus purs de charité fraternelle et de souci humanitaire et convient donc parfaitement à un usage officiel et diplomatique. Mais elle est à proscrire, car bon nombre de nos employés sont absolument incapables de prononcer cette langue assez bien et quand bien même ils voudraient adopter le ton impersonnel, ils risqueraient de se tromper en parlant. Et si vous prononcez ce mot – le même mot – avec une intonation personnelle, il signifie « frère » avec une nuance d’intimité et de chaleur familiales. Ce qui est trop familier. Par contre, s’il vous arrive de l’employer sur un ton intime, vous faites passer la personne à laquelle vous vous adressez pour un homosexuel – et pour votre partenaire. Vous voyez, maintenant, pourquoi ce terme est absolument proscrit de toute allocution officielle ?

— Doux Jésus, je comprends ! (Bethany gloussa.) Pas étonnant que Montray dispose d’un linguiste pour rédiger ses discours ! (Les deux femmes échangèrent un petit rire de connivence. L’inaptitude de Montray à parler la langue de Ténébreuse était un sujet de plaisanterie courante au quartier général.) Voilà donc pourquoi vous passez vous-même en revue tous ses discours ? Vous savez tout sur Ténébreuse, n’est-ce pas, Magda ?

Cette dernière secoua la tête d’un air triste.

— Non, certainement pas. C’est impossible pour un Terrien.

Et si un Terrien le pouvait, aucune Terrienne ne le pourrait. Cette pensée lui était toujours aussi amère. Mais elle la rejeta.

— Cela aurait été différent si la base des Terriens était restée à Caer Donn. Là-bas, les Terriens et les gens d’ici se fréquentaient plus ou moins sur un pied d’égalité et nous pouvions nous mêler à eux en tant que Terriens. On n’avait donc aucun besoin d’agents secrets. Tandis qu’ici, nous sommes obligés de travailler sous une couverture. Les Comyn ont refusé catégoriquement de coopérer. Ils nous ont loué le terrain pour l’astroport, nous ont permis d’engager des ouvriers pour les travaux de construction et nous ont autorisés à construire la Cité du Commerce, mais en dehors de ça… Oh ! flûte ! Beth, on ne vous a pas appris tout ça, à l’orientation de base ?

— Si. Classe B Fermée, commerce très restreint, personnel de l’astroport limité à la Cité du Commerce. Aucune fraternisation.

— Alors, vous voyez ? Aucun autre enfant terrien n’aura la chance que nous avons eue, Peter, Cargill et moi, de grandir en jouant avec les enfants de Ténébreuse et d’apprendre la langue sur place. C’est pourquoi nous sommes si peu nombreux à pouvoir passer réellement aux yeux des gens de Ténébreuse pour des compatriotes… et je suis la seule femme dans ce cas.

— Alors, pourquoi n’ont-ils pas maintenu le Quartier Général à… où était-ce… Caer Donn ? S’ils étaient tellement plus amicaux là-bas ?

— À cause du climat, en partie, dit Magda. Si vous trouvez qu’il fait froid ici, vous devriez voir à quoi ressemble l’hiver dans les Hellers. Tout s’arrête brusquement depuis la nuit du Solstice d’hiver jusqu’au dégel du printemps. Le climat de Thendara est agréable – euh !… modéré, en tout cas – par contraste. Ensuite, il y avait le problème des routes et du transport. Il n’y a tout simplement pas assez de place à Caer Donn pour le genre d’astroport que désirait l’Empire, sans raser une grande montagne ou deux. Et le Conseil Ecologique de la Terre n’aurait pas accordé sa permission pour ça, même si les populations locales n’avaient émis aucune objection. En outre, il y a la question du commerce et de l’influence. Les Aldarans, là-bas à Caer Donn, gouvernent des kilomètres et des kilomètres de montagnes, de forêts, de vallées, de petits villages, de châteaux isolés et quelques milliers d’habitants. Mais ici, dans les Domaines, il y a cinq grandes villes plus une douzaine de villes plus petites et Thendara, à elle seule, abrite près de cinquante mille personnes. Il n’y a donc pas le moindre choix pour l’Empire, en vérité. Mais cela signifie que les agents, les anthropologues et les linguistes de l’Empire doivent travailler dans l’ombre et que nous calculons encore les paramètres. Il y a littéralement des milliers de choses que nous ignorons encore sur cette culture. Et la politique adoptée par les Comyn de ne pas nous aider du tout, constitue un blocage épouvantable. Ils n’interdisent pas aux gens de travailler avec nous, mais les gens d’ici ne font rien sans l’approbation des Comyn. Ce qui signifie que ceux d’entre nous, peu nombreux, qui sont capables de passer pour des habitants de Ténébreuse, peuvent pratiquement imposer leurs propres conditions. En effet, le seul fait de se tenir au courant du langage est une tâche secrète ardue et compliquée. Bien entendu, je ne peux pas faire ici tout ce qu’un agent homme ferait. Chacun des agents masculins est essentiellement chargé, en linguistique, de se tenir au courant des jeux de mots salaces. Moi, naturellement, je ne les entends pas.

— Pourquoi quelqu’un aurait-il besoin de connaître des jeux de mots salaces ? Est-ce pour la section d’information folklorique ?

— Ma foi, pour cela aussi. Mais surtout pour éviter toutes allusions accidentellement choquantes – ou involontairement comiques. Vous avez grandi sur la Terre. Diriez-vous de quelqu’un, dans un contexte sérieux et conventionnel, qu’il vient de tirer un coup ?

— Non, à moins d’avoir envie que mes interlocuteurs n’explosent et ne se mettent à ricaner et à lancer des regards paillards. Je vois ce que vous voulez dire. Vous devez proscrire l’ensemble des plaisanteries grivoises courantes ou des anciennes plaisanteries particulièrement notoires. Mais vous ne les entendez pas…

— Non. J’ai ma propre spécialité. J’ai signalé que certaines expressions ne sont pas utilisées par les femmes. Ni en leur présence dans la bonne société. Il existe également des locutions particulières qui sont surtout utilisées par les femmes. La culture de Ténébreuse n’est pas de celles où les femmes ont un langage spécial. Cela existe sur certaines planètes, par exemple Sirius 9, et c’est un véritable cauchemar pour les traducteurs. Mais aucune culture n’est jamais complètement dépourvue de « langage féminin ». Pas même la Terre. Par exemple, je suis tombée sur un renvoi en bas de page dans mon manuel d’histoire du langage qui disait que les femmes d’une des principales cultures préspatiales avaient coutume de désigner leurs règles sous le nom de « fléau ».

— Vraiment ? Pourquoi ?

— Dieu seul le sait. Je suis une linguiste, pas une psychologue. Ecoutez Beth… Tout cela est amusant, mais cela n’avance pas mon travail.

Magda se pencha sur le clavier. Elle commença à taper ses notes de la journée et à les enregistrer dans l’ordinateur pour qu’elles soient analysées, programmées et emmagasinées par les informaticiens qui les codifieraient par la suite.

Une plaisanterie fait le tour de Thendara, inscrivit-elle. Entendue à trois reprises au cours des cinq derniers jours. Les détails varient, mais elle se rapporte fondamentalement à deux (trois ou cinq) Terriens qui se trouvaient sur un escalier roulant extérieur, dans l’astroport. Mais cet escalier étant tombé en panne, les Terriens sont restés bloqués pendant plusieurs heures (trois jours selon une autre version) entre le premier et le second niveau en attendant les réparations. Sous-entendu : les Terriens sont si dépendants des transports mécaniques qu’ils sont physiquement et psychologiquement incapables de descendre la demi-volée de marches d’un escalier bloqué. Implications de cette histoire : les habitants de Ténébreuse considèrent les Terriens comme des êtres faibles, incapables d’effort. Deuxième implication : jalousie vis-à-vis des Terriens qui ont accès aux machines et jouissent d’une existence confortable ? La fréquence croissante des plaisanteries sur les Terriens, dont la plupart semblent concerner notre mode de vie et plus particulièrement son confort, pourrait signifier… Bethany l’interrompit.

— Magda, je viens de recevoir une dépêche de Montray. Est-ce que je lui dis que vous êtes ici ?

— Je suis encore en service, officiellement, dit Magda en opinant de la tête.

Bethany répondit dans le communicateur et écouta un moment.

— Allez-y, dit-elle à Magda. Entrez.

Dans son bureau, Montray se renfrogna, l’air irrité, en voyant le costume local de Magda.

— On vient d’apporter un message émanant du Château des Comyn, dit-il. Un des grands personnages de là-bas – Lorill Hastur – vient de me convoquer. Il a, en outre, demandé que vous veniez avec moi – vous et personne d’autre – pour traduire. J’imagine que votre amie, la princesse Ardaïs, a parlé de votre aptitude particulière à parler leur langue. J’ai donc un problème. (Il se renfrogna.) Je sais parfaitement que ce n’est pas protocolaire et qu’il est probablement incorrect également, d’emmener une femme comme interprète officielle à Ténébreuse. D’un autre côté, je crois savoir qu’il est tout bonnement impossible à quelqu’un d’ignorer une requête des Comyn. Qui sont les Hastur, de toute façon ?

Magda se demanda comment Montray pouvait vivre sur Ténébreuse depuis près d’une année, même au Quartier Général des Terriens, et continuer à n’avoir aucune idée précise sur l’identité des Hastur et sur leurs mobiles.

— Les Hastur forment la famille de Comyn la plus influente, dit-elle. C’est Lorill Hastur qui détient le véritable pouvoir derrière le trône. Le peuple dit généralement du Prince, Aran Elhalyn, qu’il « réchauffe le trône avec son auguste postérieur et que ce postérieur est ce qu’il y a de plus utile en lui ». La plupart des Hastur ont été des hommes d’Etat au cours des deux derniers siècles. Ils ont longtemps siégé sur le trône également. Mais ils se sont aperçus que cela entravait la bonne marche du gouvernement. Aussi ont-ils renoncé à leurs fonctions solennelles et les ont-ils confiées aux Elhalyn. Ce Lorill est le Premier conseiller – c’est à peu près l’équivalent d’un Premier ministre qui aurait en outre les pouvoirs d’un magistrat de la Cour suprême de l’Etat.

— Je vois. Je suppose qu’il est important de ne pas l’offenser, alors. (Montray regarda Magda de travers.) Vous ne pouvez pas faire office d’interprète officielle dans cette tenue, Lorne !

— Je suis certaine que cela les offensera beaucoup moins que les vêtements que je porte généralement par ici, fit remarquer Magda. Vous devez forcément savoir que la tenue ordinaire d’une Terrienne serait considérée à Ténébreuse comme indécente, même pour une prostituée ?

— Non, je ne le savais pas, répondit Montray. Je suppose que je ferais mieux de suivre votre conseil, alors. Vous passez pour être la spécialiste des usages féminins.

Mais lorsqu’ils franchirent les grandes portes et passèrent devant le garde des Forces Spatiales, vêtu de cuir noir, qui était de faction, Montray prit un air maussade.

— Vous voyez dans quoi vous m’entraînez ? Il va probablement croire que je me suis trouvé une petite amie indigène.

Magda secoua la tête et lui rappela que les gardes des Forces Spatiales la connaissaient et avaient l’habitude de la voir en costume local. Elle ne pénétrait jamais dans la Vieille Ville dans une autre tenue. Mais un peu plus tard, elle s’avisa qu’elle allait peut-être attirer des désagréments à Montray avec la population autochtone. Les Terriens n’étaient pas précisément populaires dans la Vieille Ville et la vue d’un Terrien escortant une respectable citoyenne de Ténébreuse risquait effectivement de provoquer des désordres, si une tête brûlée de l’endroit voulait en profiter.

Tout cela est idiot. J’en sais quinze fois plus long sur Ténébreuse que Montray n’en saura jamais. Et pourtant, d’un point de vue strictement protocolaire, je ne suis même pas qualifiée pour être interprète officielle, encore moins pour occuper une position plus élevée que celle-là. Et cela uniquement parce que je suis une femme et que Ténébreuse est un monde où les femmes n’ont pas le droit d’occuper de tels postes.

Ainsi, par le hasard de la naissance, je serai pour toujours dans l’incapacité d’exercer le métier que je connais le mieux, alors qu’un imbécile comme Montray doit recourir à un linguiste particulièrement compétent pour rédiger ses discours et à deux autres collaborateurs pour lui tenir la main au cas où il se perdrait et se verrait obligé de demander son chemin à quelques centaines de mètres des portes. Je devrais occuper le poste de Montray. Il n’est même pas qualifié pour le mien !

Montray frissonnait. Magda n’éprouvait aucune sympathie pour lui. Le coordinateur connaissait le climat. Il avait toute latitude pour se vêtir en conséquence ou pour modifier l’uniforme officiel et le rendre plus approprié au pays, mais cela ne lui venait même pas à l’idée.

Je devrais quitter cette maudite planète sur-le-champ. Il y en a plein d’autres où je pourrais utiliser au mieux mes capacités.

Mais c’est Ténébreuse que je connais le mieux. Pourtant ici, je ne suis bonne qu’à faire un métier de femme !

Et cela même ne m’est permis que parce que je suis une Terrienne. Les femmes d’ici n’exercent même pas ce genre d’activité !

Aux portes du Château des Comyn, un homme portant l’uniforme vert et noir des Gardes de la Cité, leur demanda quel était l’objet de leur visite en utilisant l’intonation déprédatrice et Magda se hérissa.

Montray ne l’aurait pas remarqué, mais la jeune femme rétorqua d’un air guindé qu’ils avaient été convoqués personnellement par le Seigneur Lorill Hastur. Le garde s’éloigna et revint presque aussitôt. Cette fois, il leur parla sur le mode respectueux, disant que le Seigneur Hastur avait donné l’ordre de les conduire sur-le-champ en sa présence.

Les corridors du Château étaient mornes, froids et presque déserts. Magda savait qu’à cette époque de l’année, la plupart des Comyn s’étaient retirés sur leurs terres d’un bout à l’autre des Domaines. Ils ne se réunissaient là que pendant la Saison du Conseil, vers le milieu de l’été. Le Domaine des Hastur se trouvait très éloigné aux confins des Hellers. Elle supposa donc que si le Seigneur Hastur était resté, c’était seulement parce que certains événements dans la capitale exigeaient sa présence. Elle examina attentivement les couloirs, les tentures et les décorations, désireuse de profiter au maximum d’une occasion qui risquait fort, pour elle, de ne plus se représenter. Aucune femme ne pouvait occuper un poste officiel à Ténébreuse et plus jamais, probablement, elle ne pourrait pénétrer dans le Château des Comyn.

On finit par les faire entrer dans une petite salle d’audience où les attendait Lorill Hastur : c’était un petit homme svelte, sérieux, dont les cheveux d’un roux foncé étaient blancs aux tempes. Il les accueillit avec des paroles courtoises que Magda traduisit machinalement. Elle avait remarqué que la seule autre personne présente était Dame Rohana Ardaïs.

Si on l’avait interrogée, Magda aurait affirmé qu’elle ne croyait pas à la prémonition et aurait avoué son scepticisme en ce qui concernait les facultés extrasensorielles. Pourtant, dès qu’elle vit cette femme élancée aux cheveux cuivrés, vêtue d’une robe d’un bleu violet, paisiblement assise sur une banquette rembourrée, elle sut.

C’est à cause de Peter…

— Ma parente a effectué le long voyage pour venir d’Ardaïs, dans le seul but de parler avec vous, dit Lorill Hastur. Voulez-vous leur expliquer, Rohana ?

— Je me suis sentie dans l’obligation de venir jusqu’à vous, dit la noble Comyn, car vous avez été très aimables avec moi lorsque, très inquiète au sujet de mon fils, je me suis adressée à vous.

Elle s’adressait apparemment à Montray, mais il était évident que ces paroles étaient destinées à Magda.

— Nous venons, mon mari et moi, de recevoir un message émanent de Rumal di Scarp.

Tout en traduisant, Magda ne parvint pas tout à fait à réprimer un frisson.

— Saïn Scarp est le repaire de bandits le plus mal famé des Hellers, expliqua-t-elle à Montray.

Lorsqu’elle était enfant, on se servait de ce nom pour effrayer ses petits amis et les forcer à bien se tenir : « Les hommes de Saïn Scarp vont venir te chercher ! »

— Rumal voue aux hommes de la lignée Ardaïs une haine mortelle, poursuivit Rohana. Le père de mon mari a pendu cinq ou six de ses hommes aux murs du Château des Ardaïs. Ruinai vient donc de nous envoyer un message : il détient notre fils Kyril prisonnier dans le forst de Saïn Scarp. Il a en outre, fixé une rançon que nous devrons payer avant le milieu de l’hiver, sans quoi Kyril nous serait renvoyé… (Rohana eut un léger frisson)… en morceaux.

— Croyez à ma profonde sympathie, Madame, dit Montray. Mais l’Empire Terrien ne peut se laisser entraîner dans ces querelles privées…

Les yeux de Rohana lancèrent des éclairs. Elle n’attendit pas que Magda traduise.

— Je vois que vous n’avez pas encore compris. Lorsque je suis retournée au Château des Ardaïs après vous avoir parlé, j’ai trouvé mon fils sain et sauf à la maison. Il avait été retardé car il avait eu les pieds gelés et n’était revenu que lorsqu’il lui avait été possible de voyager. Quand nous avons reçu le message de Saïn Scarp, il se trouvait dans la même pièce que nous et a pensé qu’il s’agissait d’une colossale plaisanterie.

Magda pâlit, sachant ce qu’allait dire Rohana.

— J’ai compris alors, après avoir vu le portrait que vous m’aviez montré, qui était le prisonnier retenu à Saïn Scarp. Votre ami… (Elle se tourna vers Magda.) Est-ce votre amoureux ?

Elle avait employé le terme courtois dont l’équivalent le plus proche en terrien eût été « promis ». Prononcé sur le ton déprédateur, cela aurait signifié « amant ».

En proie à la terreur, Magda se força à parler. Son enfance avait été bercée par des histoires de bandits dans les Hellers et elle avait la gorge serrée.

— C’était mon… (Elle chercha l’équivalent précis du mot « mari » car il y avait au moins trois formes de mariage à Ténébreuse.)… mon compagnon. Nous nous sommes séparés, mais nous étions amis d’enfance et son sort me cause de vives inquiétudes.

Montray qui avait suivi ce dialogue avec peine, arborait une expression maussade.

— Vous êtes sûre ? Il est rare qu’un de mes hommes aille aussi loin dans les Hellers. Ne pourrait-il s’agir d’un autre membre de votre famille offrant une ressemblance avec votre fils, Madame ?

— Rumal a envoyé ceci avec son message, dit Rohana en tendant un pendentif pour homme suspendu à une fine chaîne de cuivre. Je sais que ce n’est pas à mon fils. Cela a été fabriqué à Dalereuth. Ce genre de bijou ne se vend pas dans les Hellers et ne se porte guère.

Montray le retourna maladroitement dans ses mains… C’était un médaillon gravé dans une pierre semi-précieuse, bleu-vert, et encerclé d’un filigrane de cuivre finement travaillé.

— Vous connaissez Haldane mieux que moi, Magda. Vous reconnaissez cela ?

— C’est moi qui le lui ai donné.

La jeune femme avait la bouche sèche. Cela s’était passé peu avant leur mariage éphémère. La seule et unique fois où ils avaient voyagé ensemble jusqu’aux plaines de Dalereuth. Elle avait acheté le bijou pour elle-même, mais Peter l’avait admiré avec tant d’excès que Magda qui, après tout, ne pouvait pas porter un bijou d’homme, lui en avait fait cadeau. En échange de… Elle leva ses mains tremblantes jusqu’à sa nuque et effleura la barrette-papillon qu’elle portait toujours.

Il a ôté celle que je portais et attaché celle-là à la place… comme, seul, un amoureux oserait le faire… et je l’ai laissé faire…

— Voilà qui est assez concluant, dit Montray. Bon sang ! il était trop avisé pour pénétrer seul dans les Hellers… Quelle chance y a-t-il pour que ce bandit… di Scarp… le relâche s’il découvre qu’il s’est trompé d’homme ?

— Aucune, intervint Hastur. Les bandits de la montagne ne se souviennent que trop bien de ces premières années à Caer Donn quand le peuple Aldaran vous a trompés, vous autres Terriens, en vous faisant croire qu’il était permis d’utiliser vos armes contre eux. J’espère, dans l’intérêt de votre jeune ami, qu’il ne révélera pas son identité.

— N’est-ce pas là une preuve que nous avions raison d’aider les Aldarans et que vous avez eu tort de nous arrêter ? Ces bandits continuent plus que jamais à causer des ravages au sein de votre peuple et votre Pacte de Ténébreuse nous met dans l’impossibilité de les attaquer de façon efficace. Vous auriez dû nous laisser finir de les exterminer !

— Je dois respectueusement refuser de débattre de l’éthique du Pacte avec vous, dit Hastur. Il maintient Ténébreuse à l’écart des grandes guerres depuis des centaines d’années et cette question ne souffre aucune discussion. Nous nous souvenons encore de nos Eres de Chaos.

— Voilà qui est parfait, dit Montray, mais cela n’a-t-il donc aucune importance pour vous qu’un témoin innocent puisse être assassiné pour une querelle à laquelle il est étranger ? Ne voyez-vous pas que vous fermez les yeux sur leurs actes en interdisant à notre peuple de le sauver ?

— Cela a beaucoup d’importance, au contraire, fit Hastur dont le regard étincela brusquement de colère. Je pourrais vous rappeler qu’il ne s’agit guère d’un témoin innocent, étant donné que votre ami s’est jeté dans cette situation de son plein gré. Nous ne lui avons pas demandé de voyager dans les Hellers – pas plus que nous ne l’y avons autorisé, d’ailleurs. Il est parti de son plein gré et dans votre intérêt, à vous ou à lui… pas dans le nôtre. Mais nous ne le lui avons pas interdit, non plus. Et ce n’est vraiment pas notre affaire s’il subit le sort que nos propres hommes risquent chaque fois qu’ils se rendent là-bas. Je pourrais également vous rappeler que rien ne nous obligeait à vous informer de sa situation. Et nous ne vous défendons pas de partir à son secours, si vous pouvez le faire aussi discrètement qu’il est allé là-bas.

Montray secoua la tête.

— Dans les Hellers, avec l’hiver qui approche ? Impossible. J’ai bien peur que vous ayez raison. Il connaissait les risques qu’il prenait, il savait ce qui arriverait s’il était pris. Je crains qu’il ne soit obligé de subir le châtiment qu’il s’est attiré.

— Vous n’allez pas… l’abandonner et vous contenter de le rayer des listes ? s’écria Magda, horrifiée.

Montray poussa un profond soupir.

— Cela ne me plaît pas, à moi non plus, Magda. Mais que pouvons-nous faire d’autre ? Il connaissait les risques qu’il prenait. Vous les connaissez tous…

Magda sentit un picotement courir le long de son échine dorsale, comme si tous les duvets de son corps se hérissaient. Oui, c’était là la règle du Service de Renseignements. La première et la dernière loi, c’est le secret. Quand vous vous attirez des ennuis, il n’y a plus moyen de vous en sortir !

— Nous pouvons payer sa rançon, répliqua Magda avec emportement. Je me porterai garante moi-même de la somme demandée, si vous rechignez à le faire.

— Ce n’est pas la question, Magda. Nous paierions avec joie pour le faire libérer, mais…

— Impossible, intervint Lorill Hastur. Rumal di Scarp n’accepterait jamais de négocier avec les Terriens. Dès l’instant où il saurait que son prisonnier est un Terrien, il prendrait plaisir à le tuer de ses mains et par des moyens que je préfère ne pas décrire devant des dames. Le seul espoir de votre agent, c’est de cacher son origine. (Il se tourna vers Magda et courtoisement, lui parla sans la regarder : une attitude très révélatrice de la qualité de la tenue et des manières de Magda, aux yeux des gens de Ténébreuse.) Si je n’avais su le contraire, je vous aurais prise pour une femme des Hellers. Votre ami parle-t-il notre langue et connaît-il nos coutumes aussi bien que vous ?

— Mieux, répondit Magda avec sincérité. (Elle réfléchissait à toute vitesse. Il faut trouver quelque chose. Il le faut.) Dame Rohana, il est évident qu’ils continuent à croire qu’ils ont affaire à votre fils. Pouvez-vous négocier avec eux pour sa rançon ?

— Ce fut ma première idée. Je le ferais avec joie pour sauver une vie. Mais mon époux m’a interdit, une fois pour toutes, de m’approcher de Saïn Scarp pour accomplir ce genre de mission. Cela n’a pas été sans mal que je lui ai arraché la permission de venir vous informer.

— Magda, ça ne sert à rien. Le seul espoir pour Peter, ce serait de s’évader lui-même, dit Montray. Si nous y allions et si nous essayions de payer sa rançon en qualité de Terrien, nous ne ferions que hâter sa condamnation à mort.

— Si j’étais un homme, rétorqua la jeune femme d’un ton virulent, j’irais moi-même négocier sa rançon ! Il n’y a pas un seul homme vivant dans les Hellers qui devinerait que je suis Terrienne ! Si je pouvais me servir du nom de la princesse et mener les négociations comme s’il s’agissait d’un parent…

Elle se tourna vers Rohana, sollicitant directement son appui…

— Aidez-moi à trouver un moyen !

Je sais qu’elle peut le faire, si elle veut. Elle n’en fait qu’à sa tête, cette princesse Comyn ; elle fera ce que bon lui semble et personne ne l’en empêchera…

Rohana s’adressa à Hastur.

— Je vous l’avais dit, cette jeune femme a dû courage et de l’énergie. Je ne désobéirai pas à Gabriel. Cela ne vaut pas la peine de se disputer. Mais je l’aiderai si je le peux. (Elle se tourna vers Magda.) Vous seriez disposée à vous rendre en personne dans les Hellers ? lui demanda-t-elle. Avec l’hiver qui approche ? Bien des hommes reculeraient devant un tel voyage, ma fille.

Elle parlait de nouveau comme si elle s’adressait à une jeune femme de sa propre caste.

— Je suis née près de Caer Donn, Madame, répondit Magda en redressant le menton. Je n’ai pas peur des montagnes, ni du mauvais temps qu’il y fait.

— Ne soyez pas ridicule, Magda ! jeta brusquement Montray. Vous êtes censée être une spécialiste des usages féminins sur Ténébreuse. Mais je sais moi-même qu’aucune femme ne peut voyager seule et sans protection ! Vous avez peut-être assez de cran – peut-être êtes-vous assez tête brûlée – mais il est impossible pour vous de voyager seule, sur cette planète. Dites-le-lui, Madame, dit-il à Rohana d’un ton suppliant. Ce serait impossible ! Bon sang, j’admire son courage moi aussi, mais il y a des choses qu’une femme ne peut pas faire ici, tout simplement !

— Vous avez raison, dit Rohana. Nos usages l’interdisent à toute femme. C’est-à-dire à toute femme ordinaire. Mais il n’y a qu’un moyen, unique, pour une femme de voyager seule sans courir aucun danger, et sans provoquer aucun scandale. Seules, les Amazones ne se plient pas aux usages auxquels sont soumises les autres femmes.

— Je ne sais pas grand-chose sur les Amazones Libres, dit Magda. Ce nom m’est familier… (Elle regarda la noble Comyn bien en face.) Si vous croyez que je peux le faire…

— Une fois déjà, j’ai employé une Amazone Libre dans une mission qu’aucun homme ne voulait entreprendre. Cela fit scandale, à l’époque. (Elle jeta un coup d’œil à Lorill avec un petit sourire malicieux. On dirait qu’elle évoque un souvenir commun, songea Magda.) C’est pourquoi cela ne suscitera pas grand scandale – pas assez grand, en tout cas, pour que je ne puisse pas le supporter – lorsqu’on saura que j’ai envoyé une autre Amazone Libre à Saïn Scarp pour négocier à ma place la libération de mon fils. Supposons que, par hasard, la rumeur de la présence de mon fils Kyril, sain et sauf à Ardaïs, parvienne aux oreilles de Rumal di Scarp, celui-ci croira seulement qu’il a capturé un des parents de Kyril à sa place ou un enfant adopté de notre maison et que nous payons pour lui par bonté ou par mauvaise conscience. Et il se gaussera de notre trop grande crédulité, mais il acceptera la rançon de toute façon et sera heureux de la recevoir.

Je crois connaître assez bien les Amazones Libres pour vous permettre de passer pour l’une d’elles, sans conteste, reprit Rohana. Mais, j’y pense, il y aura peut-être du danger. Savez-vous vous défendre ?

— Dans les Renseignements, chacun – homme et femme pareillement – est entraîné au combat à mains nues ou au couteau.

Rohana opina de la tête.

— J’en ai entendu parler, dit-elle.

Magda aurait aimé savoir comment cette information était parvenue aux oreilles du peuple de Ténébreuse. Probablement de la même façon que nous récoltons des renseignements sur eux ! se dit-elle.

— Rentrez chez vous, maintenant, dit Rohana. Prenez vos dispositions pour le voyage, arrangez-vous pour la rançon. Et venez me voir demain matin, au point du jour. Je veillerai à ce que vous ayez les vêtements et les objets de première nécessité appropriés et je m’assurerai que vous savez comment doit se comporter une Amazone Libre.

— Est-ce que vous allez vraiment vous lancer dans cette expédition insensée, Magda ? explosa Montray. Les Amazones Libres ! Est-ce que ce ne sont pas des femmes soldats ?

Rohana éclata de rire.

— On voit bien que vous ignorez tout d’elles, fit-elle. À vrai dire, il est réconfortant de penser qu’il existe encore certaines choses que vous autres Terriens n’êtes pas parvenus à découvrir sur nous ! (Magda ne put que sourire amèrement à cette remarque.) Oui, nombre d’entre elles sont des mercenaires. D’autres traquent le gibier, sont chasseresses, sont dresseuses de chevaux, forgeronnes. D’autres encore sont sages-femmes, laitières, confiseuses, boulangères, chanteuses de ballades ou vendeuses de fromage ! Elles exercent n’importe quel métier honnête. Faire office de messagère et négocier dans une querelle familiale est parfaitement respectable à leurs yeux, au train où vont les choses.

— Je me moque éperdument que ce soit respectable ou non, dit Magda à l’adresse de Montray et Rohana eut un sourire approbateur.

— Bien, dit-elle. C’est décidé, alors. (Elle tendit la main à Magda en lui souriant avec bonté.) C’est dommage, mais vous allez être obligée de couper vos beaux cheveux, dit-elle.

La chaîne brisée
titlepage.xhtml
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Zimmer Bradley,Marion-[Tenebreuse-07]La chaine brisee(1976).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html